Rousseau et le pouvoir politique

12 mars, 2006

Rousseau et le pouvoir politique

Rousseau estime que l’ordre social et le pouvoir politique vont de pair. Il nous dit alors dès le début du Contrat Social que cet ordre social « est un droit sacré qui sert de base à tous les autres »[i] et à cela, il ajoute que « ce droit ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions »[ii]. Rousseau oppose donc la force naturelle à l’ordre social et par conséquent, selon sa conception, au pouvoir politique. Il légitime alors ce pouvoir, comme nous l’avons dit précédemment, à l’aide de la dite convention. Mais, pour accentuer davantage son propos et nous prouver hors de tout doute qu’une telle convention est nécessaire, il nous présente quatre arguments qui justifient autrement le pourvoir politique et cela, dans le but de les réfuter. Voyons donc dans les paragraphes quels sont ces arguments.

La première chose que Rousseau va tenter de réfuter, c’est le fait que certains pensent que l’autorité politique doit être comparée à l’autorité des parents. Pour se défaire de cela, Rousseau nous dit que malgré le fait que la famille soit la seule société naturelle et la plus ancienne de toutes les sociétés, cela n’altère en rien le fait qu’à un certain moment, dans la vie d’un enfant, celui-ci est affranchi de l’autorité parentale. Ce qui évidemment n’est pas le cas d’un citoyen envers l’autorité de l’État. Donc, pour lui, l’argument ne tient pas, car pour que l’autorité soit permanente, il doit y avoir une convention.

Le second argument auquel Rousseau s’attaque est celui d’Aristote qui stipule « que les hommes ne sont point naturellement égaux, mais que les uns naissent pour l’esclavage et les autres pour la domination »[iii]. Cet argument est irrecevable pour Rousseau, car pour lui, s’il y a des esclaves, cela est plutôt dû au fait que ce sont d’autres hommes qui les ont rendus esclaves, ils ne le sont pas naturellement. Pour Rousseau, ce sont donc les institutions qui sont à la source de l’esclavage et non la nature de l’homme. Cet argument est par conséquent réfuté de sa part.

Dans un troisième temps, Rousseau nous parle du droit du plus fort. Pour lui, ce n’est pas au plus fort de dicter la loi. Car, il ne voit en la force qu’une puissance physique dépourvue de moralité. Il considère donc que céder à la force est une nécessité et non un acte volontaire. Ainsi, nous nous devons de ne pas reconnaître la force comme un droit et de plus, d’obéir seulement aux forces qui sont légitimes. Pour Rousseau, nous avons beau constater que ce droit du plus fort est un état de fait, cela n’a aucun fondement moral. De plus, pour lui, si nous réduisions le droit à la force, cela ferait en sorte qu’il serait quelque chose de beaucoup trop incertain. Ainsi, Rousseau en revient à son point de départ. Pour illustrer cela, il nous dit qu’« ainsi (…) [sa] question primitive revient toujours »[iv].

En dernier, Rousseau cite l’exemple de l’esclavage et il s’exprime en ces termes : « Si un particulier, dit Grotius, peut aliéner sa liberté et se rendre esclave d’un maître, pourquoi tout un peuple ne pourroit-il pas aliéner la sienne et se rendre sujet d’un roi ? »[v]. À cette question de Grotius, il rétorque qu’il n’y a aucun avantage à un peuple d’abandonner tous ses droits. De plus, il ajoute que dans une telle convention, il est absurde qu’il n’y ait pas obligation réciproque (autorité sans limite d’une part et asservissement de l’autre). Enfin, il ajoute que mettre tout un peuple en esclavage n’a pas de sens, car une génération n’a pas le droit de livrer la suivante en esclavage et que de toute manière, « renoncer à sa liberté c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs »[vi]… Pour Rousseau, cette option n’est donc pas valable.

Rousseau a donc réfuté les quatre arguments précédents, ceux-ci, comme nous l’avons dit ci-haut, allant à l’encontre de sa thèse. Son argumentation se résume donc comme suit. L’autorité politique ne peut pas se faire par analogie à la famille. Elle ne peut pas non plus se fonder sur le fait qu’il existe des esclaves et des maîtres par nature ni sur le principe de l’asservissement volontaire d’un peuple à un tyran. Et finalement, l’autorité politique ne peut pas non plus se fonder par rapport au droit du plus fort. Donc, c’est seulement par une première convention que l’autorité politique est fondée.

Enfin, ici il est important de noter que tout le raisonnement de Rousseau repose sur ce qu’on appelle un argument par exclusion. Par conséquent, cela relativise la force de son raisonnement, car un tel argument ne fait pas le compte de tous les autres arguments possibles qui pourraient éventuellement le contredire. Néanmoins, l’argumentation de Rousseau reste toujours valable, mais comme nous l’avons démontré, dans une certaine mesure seulement. Le débat reste donc encore ouvert…

Notes

[i] Rousseau J-J., Du Contrat Social, livre 1, chap. 1, par. 174.
[ii] Idem.
[iii] Idem, livre 1 chap. 2, par. 177.
[iv] Idem, livre 1 chap. 3, par. 180.
[v] Idem, livre 1 chap. 4, par. 181.
[vi] Idem, par. 183.